Le Pisco Punch est bien plus qu’un simple cocktail.
Né dans les rues animées de San Francisco à la fin du XIXe siècle, cette boisson dorée a connu une gloire fulgurante avant de sombrer dans l’oubli pendant la Prohibition.
Son histoire mêle mystère, secret bien gardé et renaissance moderne.
Si aujourd’hui le Pisco évoque immédiatement le Pérou et le Chili, peu savent que c’est à San Francisco que cette eau-de-vie de raisin a trouvé sa recette la plus mythique.
Plongée dans l’univers d’un cocktail qui, selon les mots de Rudyard Kipling, était « fait avec le jus de limon de l’Arbre de Vie ».
Les origines mystérieuses du Pisco Punch
Le Pisco Punch est né au Bank Exchange Saloon, un bar prestigieux situé à l’angle de Montgomery et Washington Street à San Francisco. C’est dans cet établissement que Duncan Nicol (parfois orthographié Nichol), le propriétaire écossais, a créé cette boisson devenue légendaire dans les années 1880.
À cette époque, San Francisco était une ville portuaire en plein essor où les navires en provenance d’Amérique du Sud déchargeaient régulièrement leur cargaison de pisco péruvien. Cette eau-de-vie de raisin, produite principalement au Pérou et au Chili, était alors très populaire en Californie.
Le cocktail de Nicol est rapidement devenu célèbre pour deux raisons : son goût extraordinaire et la recette jalousement gardée secrète. Les clients du Bank Exchange décrivaient une boisson à la fois puissante et douce, qui « entrait comme du lait et vous frappait comme une balle de pistolet français ».
La recette secrète de Duncan Nicol
Duncan Nicol préparait son fameux cocktail à l’abri des regards indiscrets. Il prémélangeait certains ingrédients et conservait sa préparation dans de petites bouteilles derrière son bar. Quand un client commandait un Pisco Punch, il versait simplement une dose de ce mélange mystérieux dans un verre, ajoutait du pisco et servait.
Plusieurs théories circulent sur les ingrédients secrets du Pisco Punch original :
- Un sirop d’ananas spécial, préparé en faisant macérer l’ananas dans le pisco
- L’utilisation de gomme arabique pour donner une texture soyeuse
- L’ajout de cocaïne (légale à l’époque) ou d’autres substances aujourd’hui interdites
- Un mélange spécial d’herbes et d’épices importées
Cette dernière théorie reste peu probable, mais elle illustre l’aura de mystère qui entourait la recette. Ce qui est certain, c’est que Nicol a emporté son secret dans la tombe lorsqu’il est décédé en 1926.
L’âge d’or du Pisco Punch
Durant la ruée vers l’or californienne et les décennies qui ont suivi, le Pisco Punch est devenu emblématique de San Francisco. Le Bank Exchange était fréquenté par l’élite de la ville, des hommes d’affaires aux politiciens, en passant par les écrivains célèbres.
Rudyard Kipling, après avoir goûté le cocktail lors de son passage à San Francisco en 1889, écrivit dans son livre « From Sea to Sea » :
« Le Pisco Punch est composé d’une liqueur de Pisco, dont la fabrication est un secret jalousement gardé. C’est servi glacé et ressemble à de l’ambre liquide. Il y a du jus de citron dedans, qui ne peut pas être celui d’un citron ordinaire. Il doit être fait avec le jus de limon de l’Arbre de Vie. »
D’autres écrivains comme Mark Twain et Jack London auraient été des admirateurs de cette boisson mythique.
La chute et l’oubli : l’impact de la Prohibition
Le coup fatal pour le Pisco Punch fut la Prohibition aux États-Unis (1920-1933). Le Bank Exchange dut fermer ses portes en 1919, juste avant l’entrée en vigueur du 18e amendement interdisant la fabrication, le transport et la vente d’alcool.
Duncan Nicol, déjà âgé et refusant de révéler sa recette, ne put s’adapter à cette nouvelle ère. Sans héritier pour son secret, la recette originale disparut avec lui en 1926.
Pendant plusieurs décennies, le Pisco Punch tomba dans l’oubli, survivant uniquement dans les mémoires des anciens San-Franciscains et dans quelques récits historiques.
La renaissance du Pisco Punch
Ce n’est qu’à partir des années 1970-1980 que l’intérêt pour les cocktails classiques a commencé à renaître aux États-Unis. Des historiens de la mixologie comme Ted Haigh (Dr. Cocktail) et David Wondrich ont redécouvert l’histoire du Pisco Punch et ont travaillé à recréer des versions aussi proches que possible de l’original.
Aujourd’hui, le Pisco Punch connaît une véritable renaissance, porté par plusieurs facteurs :
- L’engouement pour les cocktails classiques et la mixologie artisanale
- Le regain d’intérêt pour le pisco comme spiritueux de qualité
- La fierté de San Francisco pour son patrimoine culinaire et mixologique
- L’intérêt croissant pour les recettes historiques et « perdues »
La recette moderne du Pisco Punch
Bien que la recette originale de Duncan Nicol reste un mystère, plusieurs versions modernes tentent de s’en approcher. Voici la recette consensuelle utilisée aujourd’hui par la plupart des bartenders :
Ingrédients pour un Pisco Punch
- 60 ml de pisco (idéalement péruvien)
- 30 ml de jus d’ananas frais
- 15 ml de jus de citron fraîchement pressé
- 15 ml de sirop d’ananas (ou sirop simple)
- Quelques gouttes de sirop de gomme (optionnel)
- Glaçons
- Garniture : tranche d’ananas ou zeste de citron
Préparation
- Remplir un shaker de glaçons
- Ajouter le pisco, le jus d’ananas, le jus de citron et le sirop
- Secouer vigoureusement pendant environ 15 secondes
- Filtrer dans un verre à cocktail refroidi
- Garnir d’une tranche d’ananas ou d’un zeste de citron
Pour une version plus authentique, certains bartenders préparent un sirop d’ananas infusé en faisant macérer des morceaux d’ananas dans du sirop simple pendant 24 heures.
Le Pisco : au cœur d’une controverse internationale
On ne peut parler du Pisco Punch sans évoquer la controverse qui entoure le pisco lui-même. Cette eau-de-vie fait l’objet d’une dispute d’origine entre le Pérou et le Chili, chaque pays revendiquant être le berceau authentique du spiritueux.
Le pisco péruvien
Au Pérou, le pisco est considéré comme le spiritueux national. Sa production est strictement réglementée :
- Fabriqué à partir de huit cépages spécifiques dont le Quebranta, le Moscatel et le Torontel
- Distillé à la force de distillation (sans ajout d’eau après distillation)
- Vieilli en cuves neutres (jamais en fût de bois)
- Produit uniquement dans cinq régions côtières désignées
Le pisco chilien
Au Chili, les règles sont différentes :
- Principalement produit à partir du cépage Moscatel
- Peut être dilué avec de l’eau après distillation
- Peut être vieilli en fûts de bois
- Généralement moins aromatique que son homologue péruvien
Pour le Pisco Punch traditionnel, les historiens s’accordent à dire que Duncan Nicol utilisait probablement du pisco péruvien, qui était le plus courant à San Francisco à cette époque.
L’héritage culturel du Pisco Punch
Le Pisco Punch représente plus qu’un simple cocktail – c’est un témoignage de l’histoire culturelle de San Francisco et des échanges commerciaux entre la Californie et l’Amérique du Sud au XIXe siècle.
Aujourd’hui, plusieurs bars historiques de San Francisco, comme le Comstock Saloon et le Pisco Latin Lounge, perpétuent cette tradition en proposant leurs versions du cocktail légendaire.
Le Pisco Punch est célébré lors d’événements comme la San Francisco Cocktail Week et fait partie des cocktails que tout bartender professionnel de la ville se doit de maîtriser.
Variations modernes sur le Pisco Punch
Les mixologistes contemporains ont créé de nombreuses variations inspirées du Pisco Punch classique :
Pisco Punch à la grenade
- 60 ml de pisco
- 30 ml de jus d’ananas
- 15 ml de jus de citron
- 15 ml de sirop de grenade
Pisco Punch épicé
- 60 ml de pisco
- 30 ml de jus d’ananas
- 15 ml de jus de citron
- 10 ml de sirop de gingembre
- Quelques tranches de piment jalapeño
Pisco Punch tropical
- 60 ml de pisco
- 20 ml de jus d’ananas
- 20 ml de jus de fruit de la passion
- 15 ml de jus de citron vert
- 10 ml de sirop de vanille
Ces variations modernes témoignent de la versatilité du pisco et de l’attrait durable du concept original de Duncan Nicol.
Le Pisco Punch dans la culture populaire
Le mystère entourant la recette originale et l’histoire colorée du Pisco Punch ont inspiré plusieurs œuvres :
- Le roman « The Last Days of the Bank Exchange » de Bruce Murkoff, qui romance l’histoire de Duncan Nicol
- Le documentaire « Pisco Punch: A Cocktail Comeback Story » qui retrace l’histoire du cocktail
- Plusieurs livres de cocktails historiques, dont « Imbibe! » de David Wondrich, qui consacrent des chapitres entiers au Pisco Punch
En 2007, la ville de San Francisco a même déclaré le pisco comme « liqueur officielle » de la ville, en hommage à cette histoire partagée avec le Pérou.
Le Pisco Punch représente un chapitre fascinant de l’histoire de la mixologie américaine. De ses origines mystérieuses dans le San Francisco de la ruée vers l’or à sa renaissance dans les bars contemporains, ce cocktail incarne la magie qui peut naître lorsque des cultures se rencontrent autour d’un verre. Si vous avez l’occasion de goûter un Pisco Punch préparé par un bartender passionné, vous dégusterez bien plus qu’un cocktail – vous boirez une légende liquide, un morceau d’histoire qui continue de vivre à chaque service.


