Qui n’a jamais reculé d’effroi à la vue d’un pince-oreilles ?
Ces petits insectes à la silhouette allongée et aux pinces arrière intimidantes ont mauvaise réputation.
Pourtant, derrière cette apparence inquiétante se cache un auxiliaire précieux pour nos jardins.
Le pince-oreilles, aussi appelé forficule, mérite qu’on reconsidère sa place dans nos espaces verts.
Loin d’être nuisible, il pourrait bien devenir votre meilleur allié contre certains ravageurs qui menacent vos cultures.
Qui est vraiment le pince-oreilles ?
Le pince-oreilles appartient à l’ordre des dermaptères, un nom dérivé du grec signifiant « ailes de peau ». Cette appellation fait référence à leurs ailes postérieures membraneuses qui se replient sous de courtes élytres. Mais ce sont surtout leurs cerques en forme de pinces à l’extrémité de l’abdomen qui les rendent facilement identifiables.
L’espèce la plus commune en Europe est Forficula auricularia, le forficule commun. Mesurant entre 1 et 2 cm, il présente une couleur brun-rougeâtre et possède ces fameuses pinces qui, contrairement aux idées reçues, ne servent pas à pincer les oreilles humaines !
D’où vient cette mauvaise réputation ?
Le nom « pince-oreilles » provient d’une vieille croyance populaire selon laquelle ces insectes s’introduiraient dans les oreilles des dormeurs pour percer leur tympan. Cette légende urbaine, totalement infondée, a traversé les siècles et continue de nuire à l’image de ces arthropodes pourtant inoffensifs pour l’homme.
En réalité, les pinces (ou cerques) servent principalement à :
- Se défendre contre les prédateurs
- Capturer des proies
- Manipuler les aliments
- Parader lors de la reproduction (chez les mâles)
Le cycle de vie du pince-oreilles
Comprendre le cycle de vie de ces insectes permet de mieux apprécier leur présence au jardin et d’adapter nos pratiques pour les favoriser.
Reproduction et développement
Contrairement à beaucoup d’insectes, les pince-oreilles font preuve d’un comportement parental remarquable. La femelle creuse une galerie dans le sol à l’automne où elle pondra entre 20 et 50 œufs durant l’hiver. Elle les nettoie régulièrement pour éviter le développement de moisissures et les protège jalousement.
Au printemps, les jeunes nymphes émergent et ressemblent déjà à des adultes miniatures sans ailes. La mère s’occupe d’elles pendant quelques jours avant qu’elles ne partent à l’aventure. Elles subiront plusieurs mues avant d’atteindre leur forme adulte.
Habitat et mode de vie
Les pince-oreilles sont des créatures nocturnes qui apprécient les endroits sombres et humides. Durant la journée, ils se cachent sous :
- Les pierres et les écorces
- Les pots de fleurs
- Les tas de feuilles mortes
- Les débris végétaux
- Les fissures dans le sol ou les murs
Cette préférence pour l’obscurité explique pourquoi on les découvre souvent en soulevant un pot ou en déplaçant une planche de bois dans le jardin.
Un prédateur vorace au service du jardinier
Voici la grande révélation pour ceux qui les chassaient jusqu’à présent : les pince-oreilles sont d’excellents auxiliaires de culture !
Un régime alimentaire varié mais surtout carnivore
Bien que les pince-oreilles soient omnivores, leur régime est principalement constitué de petits insectes ravageurs. Ils se régalent notamment de :
- Pucerons – un seul forficule peut dévorer jusqu’à 50 pucerons par nuit
- Cochenilles – particulièrement difficiles à éliminer par d’autres moyens
- Acariens – comme les araignées rouges
- Œufs et larves de nombreux insectes nuisibles
- Psylles – qui attaquent notamment les arbres fruitiers
Cette voracité en fait des alliés précieux dans la lutte biologique contre les ravageurs, permettant de réduire considérablement l’usage de pesticides.
Quelques inconvénients à surveiller
Pour être tout à fait honnête, les pince-oreilles peuvent parfois causer quelques dégâts, notamment lorsque leur population devient trop importante ou que leur nourriture animale se fait rare. Ils peuvent alors s’attaquer à :
- Certaines fleurs délicates (dahlias, roses)
- Jeunes pousses tendres
- Fruits mûrs et abîmés
Toutefois, ces dommages sont généralement minimes comparés aux services rendus. De plus, ils s’attaquent souvent à des fruits déjà entamés par d’autres ravageurs ou présentant des fissures.
Comment attirer et maintenir les pince-oreilles au jardin
Pour bénéficier des services de ces précieux auxiliaires, voici comment les accueillir dans votre espace vert.
Créer des abris adaptés
Les pince-oreilles ont besoin d’endroits sombres et humides pour se réfugier pendant la journée. Plusieurs solutions simples peuvent être mises en place :
Le pot à forficules
C’est la méthode la plus classique :
- Prenez un pot en terre cuite et remplissez-le de paille ou de foin
- Retournez-le et posez-le sur des petits cailloux pour créer une entrée
- Placez-le près des plantes que vous souhaitez protéger
- Les pince-oreilles s’y installeront et sortiront la nuit pour chasser
Les fagots de tiges creuses
Attachez ensemble des tiges creuses (bambou, sureau, ronce) d’environ 20 cm de long et suspendez-les horizontalement près des cultures sensibles aux pucerons.
Les planches de bois
Posez simplement quelques planches de bois à même le sol entre vos plantations. Les pince-oreilles s’y réfugieront pendant la journée.
Favoriser un environnement propice
Au-delà des abris spécifiques, certaines pratiques de jardinage favorisent naturellement la présence des forficules :
- Limiter le travail du sol qui détruit leurs galeries
- Maintenir un paillage épais qui leur offre protection et humidité
- Conserver des zones de « désordre contrôlé » (tas de branches, pierres)
- Éviter les pesticides qui les élimineraient avec les ravageurs
- Arroser en fin de journée pour maintenir une humidité nocturne
Comment déplacer les pince-oreilles là où vous en avez besoin
L’une des qualités remarquables des pince-oreilles en tant qu’auxiliaires est qu’on peut facilement les déplacer vers les zones infestées de ravageurs.
La technique du transfert
Si vous repérez une colonie de pucerons sur vos rosiers ou vos arbres fruitiers :
- Collectez des pince-oreilles dans leurs abris (pots, fagots) le matin
- Transférez-les délicatement dans un contenant
- Relâchez-les à la base des plantes infestées
- Installez de nouveaux abris à proximité pour qu’ils s’y établissent
Cette méthode permet une intervention ciblée et efficace contre les foyers d’infestation.
La colonisation préventive
Pour protéger des cultures particulièrement sensibles aux pucerons comme les fèves, les artichauts ou les arbres fruitiers, installez des abris à pince-oreilles dès le début de la saison, avant même l’apparition des premiers ravageurs.
| Culture à protéger | Ravageur ciblé | Période d’installation |
|---|---|---|
| Rosiers | Pucerons | Avril-Mai |
| Arbres fruitiers | Pucerons, psylles | Mars-Avril |
| Choux | Chenilles, pucerons | Juin-Juillet |
| Artichauts | Pucerons noirs | Mai-Juin |
Idées reçues et vérités sur les pince-oreilles
Il est temps de démystifier certaines croyances tenaces au sujet de ces insectes incompris.
Non, ils ne s’introduisent pas dans les oreilles
Contrairement à ce que suggère leur nom, les pince-oreilles ne cherchent pas à entrer dans les oreilles humaines. Cette légende remonte à l’Antiquité et persiste malgré l’absence totale de cas avérés. Les pince-oreilles préfèrent les espaces frais et humides, mais pas les conduits auditifs !
Leurs pinces sont rarement dangereuses
Les cerques des pince-oreilles peuvent paraître menaçantes, mais elles ne peuvent infliger qu’un léger pincement sans gravité. Seules les grosses espèces exotiques (qu’on ne trouve pas dans nos jardins) pourraient causer une sensation désagréable.
Ils ne sont pas des parasites
Contrairement à certaines croyances, les pince-oreilles ne sont pas des parasites. Ce sont des insectes libres qui ne dépendent pas d’un hôte pour leur développement. Leur présence dans les maisons est accidentelle et ils n’y causent généralement aucun dégât.
Le pince-oreilles, un insecte fascinant à observer
Au-delà de leur utilité au jardin, les pince-oreilles présentent des comportements qui méritent notre attention.
Un comportement maternel exemplaire
Peu d’insectes font preuve d’autant de soin parental que les pince-oreilles. La femelle nettoie ses œufs, les protège contre les prédateurs et les champignons, et s’occupe des jeunes nymphes après l’éclosion. Ce comportement complexe est fascinant à observer et témoigne d’une évolution remarquable.
Des ailes surprenantes
Bien que rarement observés en vol, la plupart des pince-oreilles possèdent des ailes fonctionnelles. Leurs ailes postérieures membraneuses se déploient comme des éventails et se replient de manière complexe sous leurs courtes élytres. Cette prouesse d’ingénierie naturelle a même inspiré des chercheurs en robotique !
Une ancienneté remarquable
Les dermaptères sont un ordre d’insectes très ancien, dont les fossiles remontent à plus de 200 millions d’années. Leur morphologie a peu évolué depuis, témoignant d’une adaptation parfaite à leur niche écologique.
Intégrer les pince-oreilles dans une stratégie globale de jardinage écologique
Les pince-oreilles ne sont qu’un élément parmi d’autres dans l’écosystème complexe de votre jardin. Pour maximiser leur efficacité, il convient de les intégrer dans une approche plus large.
La complémentarité avec d’autres auxiliaires
Les pince-oreilles travaillent en équipe avec d’autres auxiliaires du jardin :
- Les coccinelles et leurs larves s’attaquent aux pucerons en journée, tandis que les pince-oreilles prennent le relais la nuit
- Les chrysopes complètent cette action avec leurs larves voraces
- Les carabes chassent au sol pendant que les pince-oreilles patrouillent dans les plantes
Cette diversité d’auxiliaires garantit une protection continue et complète de vos cultures.
Créer un jardin accueillant pour la biodiversité
Pour favoriser la présence de pince-oreilles et autres alliés, quelques principes simples s’appliquent :
- Diversifier les plantations pour attirer une faune variée
- Maintenir des zones non cultivées (prairie, tas de bois)
- Installer des points d’eau accessibles aux insectes
- Renoncer totalement aux pesticides chimiques
- Accepter un certain niveau de dégâts, signe d’un écosystème en équilibre
En adoptant ces pratiques, vous transformerez progressivement votre jardin en un écosystème résilient où les pince-oreilles joueront pleinement leur rôle de régulateurs.
Alors la prochaine fois que vous croiserez un de ces insectes aux pinces caractéristiques, résistez à l’envie de l’écraser. Vous avez devant vous l’un des gardiens nocturnes les plus efficaces de votre jardin, un prédateur discret qui travaille sans relâche pour maintenir l’équilibre de votre petit écosystème. Les pince-oreilles méritent bien leur titre d’alliés surprenants du jardin.


