Des anciens interprètes afghans de l’armée française se sont donnés rendez-vous sur l’esplanade des Invalides, mardi 10 janvier 2017, pour rappeler à la France ses engagements concernant leur rapatriement. Beaucoup de leurs confrères sont victimes, dans leur pays, de menaces de mort par les talibans. Reportage.
« Messieurs, votre rassemblement ne se fera pas ici, mais un peu plus loin, vers l’ambassade du Canada ». Ces mots sont prononcés par le policier chargé, avec ses confrères, d’escorter le petit rassemblement (une quarantaine de personnes) d’anciens interprètes afghans. Le groupe s’est symboliquement rassemblé non loin du Quai d’Orsay, tutelle des ambassades, et de l’Hôtel national des Invalides. Ils ne sont pas au complet. Beaucoup d’entre eux sont restés au pays, sous la menace des talibans qui, une fois les armées française et américaine parties (respectivement en 2012 et 2011), ont récupéré le contrôle du pays.
La solidarité en bandoulière…

Sur quelques 300 interprètes afghans, qui ont loué leurs services à l’armée française, une centaine d’entre eux seulement ont pu être relocalisés en France à la fin de la guerre. « Ceux qui sont restés là-bas manifestent actuellement devant l’ambassade de France à Kaboul pour que l’on considère leur situation. Nous, en France, on manifeste par solidarité avec eux. On ne peut pas les abandonner, nous déclare Abdul Razik Adil, le directeur de l’association des anciens interprètes de l’armée française en Afghanistan. Depuis le retrait de l’armée française en Afghanistan, beaucoup de mes collègues n’ont pu obtenir de visas ».
Il est peu de dire que le rôle des interprètes durant le conflit afghan était risqué : en effet, il leur revenait d’annoncer haut et fort l’arrivée de l’armée française dans des petites contrées du pays. Ils allaient aussi à la pêche aux informations pour les combattants, ne sachant pas si l’interlocuteur face à eux était un espion ou pas. Lorsque, en 2012, François Hollande annonce le retrait progressif des forces hexagonales présentes sur le sol afghan, les autorités présentes assurent aux interprètes que leur cas sera traité.
Mais les années passent, et rien n’est fait. Un sentiment d’abandon naît chez les interprètes à qui on avait pourtant promis une relocalisation définitive en France, afin d’échapper aux griffes des talibans qui ourdissaient déjà de sombres desseins pour ceux qu’ils nommaient les « traîtres ». « En Afghanistan, des collègues ont reçu des menaces devant leur domicile, les avertissant qu’on allait les pendre en place publique… ». Un interprète, qui tient à rester anonyme, nous a affirmé que « sur place comme en France d’ailleurs, [il] ne dort pas tranquille, et se sent épié ». D’ailleurs, mardi 10 janvier, jour de leur rassemblement, un attentat revendiqué par les talibans a fait plus de 30 morts et 80 blessés.
Les raisons de la colère
La pluie, qui devient drue et glaciale lors du rassemblement en cette après-midi de janvier, n’arrêtera évidemment pas ces âmes qui se sont senties « abandonnées » par l’Etat français. Un sentiment partagé par tous, y compris par Mohamedi, un autre interprète venu rejoindre l’attroupement par « solidarité avec ses frères bloqués en Afghanistan » : « Nous remercions l’Etat français pour ce qu’il a fait pour nous, mais nous demandons la même chose pour les interprètes qui ont fait des demandes de visas à l’ambassade de France à Kaboul. Elles sont sans réponse et on ne comprend pas pourquoi. Pour eux, sur place, chaque jour est pire que le précédent ».

Ahmad Fawadi est un peu plus en colère que ses congénères : « Nos confrères restés en Afghanistan avec leur famille sont actuellement face à des menaces de mort. Il est urgent que le gouvernement français les rapatrie vite, leur situation est catastrophique. La plupart d’entre nous n’ont pas été qu’interprètes pour l’armée française, nous avons aussi pris les armes ! Nous avons été côte à côte contre les talibans, parfois en première ligne. C’est simple : nous nous sommes toujours sentis victimes de mépris et d’abandon. Ce n’est pas normal que nous ayons dû nous battre quatre années après la fin de la guerre pour obtenir nos visas, sous les coups et les menaces des talibans qui ne nous lâcheront jamais ».
Ce cri du cœur trouvera-t-il un écho dans les couloirs du Quai d’Orsay ? Une délégation de manifestants a été reçue à 18h par le cabinet du ministre des Affaires Etrangères. Aucune réponse n’a été donnée pour le moment.
Merci pour cette paronymie du célèbre roman de John Steinbeck, raison/raisin mais surtout le rappel du mot “colère”, signe de bonne santé !
Merci de rappeler aux dirigeants leurs engagements et la situation dangereuse dans laquelle se trouvent ceux qui les ont aidés.
Merci enfin de ne pas les oublier quand les projecteurs de l’information ne sont plus braqués sur eux.
Maria